Le Rabbi païen by Cynthia Ozick

Le Rabbi païen by Cynthia Ozick

Auteur:Cynthia Ozick [Ozick, Cynthia]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2869303815
Éditeur: Payot


Mais il savait qu’il mentait, mentait et mentait encore. L’intention de dire vrai ne suffit pas. Discours et rhétorique. Une allocution. Une conférence. Il se trouvait obscène. Qu’est-ce que la mort des juifs avait à voir avec ses propres tribulations ? Son cri n’était qu’égotisme sur toute la ligne. Recuit dans son propre jus puant. Celui qui pleure les morts pleure sur lui-même. Il voulait que quelqu’un lise ses poèmes, personne ne pouvait lire ses poèmes. Y mêler l’histoire, c’était une saloperie, de l’exploitation. Comme si un muet allait faire grief aux oreilles qui ne peuvent pas l’entendre.

Il retourna la feuille et écrivit en gros caractères :

EDELSHTEIN PARTI

et, armé de ce papier, enfila le couloir à la rencontre du ronflement de Paula. Ridicule ce bruit et pourtant agréable, un bruit de bord de rivière. Un oiseau. À la regarder, c’était plutôt une vache : le lit conjugal sous ses yeux, noueux, bosselé — et dedans ce vieux mâle, cette vieille femelle. Il fut surpris de voir que par une nuit aussi froide, ils ne dormaient qu’avec une seule couverture en coton fin. Couchés comme deux royaumes en été.

Autrefois, ils avaient guerroyé, maintenant ils gisaient là, épuisés, dans une trêve duveteuse. Baumzweig couvert de poils. Même les poils de ses jambes avaient blanchi. Des tables de nuit, la paire, des deux côtés du lit, encombrées de journaux, de livres, de revues, des abat-jour émergeant du fouillis comme des proues de navire — la chambre à coucher était l’annexe du bureau de Baumzweig. Des tourelles de vieux numéros de la revue sur le plancher. Sur la commode, une machine à écrire assiégée par les flacons d’eau de toilette et les poudriers de Paula. Du parfum mêlé à d’infimes relents d’urine. Edelshtein continuait à regarder les dormeurs. Comme ils semblaient diminués, chaque souffle une petite supplique réclamant encore, encore, encore, un tremblement de bajoues ; le soulèvement d’un genou, d’un pouce ; les petites veines bleues couvrant le cou de Paula. Le corps tirait sur la chemise de nuit qui bâillait et il vit que ses seins retombaient sur le côté et que, bien que toujours très gros, ils pendaient, piteux, fripés, sacs de peau mouchetée de grains de beauté. Baumzweig dormait en maillot et caleçon : ses cuisses étaient pleines de boutons qu’il avait grattés.

Il plaça EDELSHTEIN PARTI entre leurs têtes. Puis il retira le papier — le vrai message était au verso : des ennemis secrets. Il replia la feuille dans la poche de son manteau et poussa ses pieds enflés dans ses chaussures. De la lâcheté. De la pitié pour ces charognes qui respiraient encore. Toute pitié renvoie à soi-même. Goethe sur son lit de mort : « Plus de lumière ! »

Dans la rue, il se sentit libéré. Un voile de neige tournoyait devant lui et le fit pivoter sur lui-même. Il trébucha dans une congère, une superbe masse bleutée et dressée en biseau. Ses pieds furent trempés, transpercés comme par une vague de sang glacé. Sous la crête immaculée, il heurta de la pierre — la marche d’un perron.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.